Ce tableau du peintre impressionniste Caillebotte s’inscrit dans la lignée des peintures d’autres impressionnistes tels que Millet ou Courbet, représentant le peuple. Caillebotte est un des premiers impressionnistes à avoir peint les ouvriers des villes, à l’heure de la révolution industrielle. Rejetée dans un premier temps au Salon de 1875 pour son réalisme vulgaire, cette œuvre a finalement rencontré un franc succès à la seconde exposition des impressionnistes de 1876.
Ce tableau présente plusieurs intérêts d’un point de vue artistique. En premier lieu, nous sommes interpelés par les jeux de lumière et de clair-obscur. La lumière du jour provenant de la fenêtre frappe à vif le parquet et les corps dénudés à la grecque des ouvriers en plein labeur, à même le sol, à moitié dans l’ombre. En second, nous sommes frappés par le parfait rendu de la perspective classique, accentuée par les effets de lumière entre les lames de parquet, formant des lignes. Ces lignes se rejoignent au lointain par un effet de plongée.
Ce tableau est également novateur, dans l’apanage qu’il fait des sens, d’un point de vue strictement masculin. La représentation d’hommes torses nus était assez rare dans la peinture académique, qui lui préférait celle d’odalisques féminines dénudées et sensuelles. La musculature de ces trois hommes travailleurs est non dépourvue de sensualité. On peut presque sentir les odeurs de transpiration de ces hommes travaillant durement torse nu, se mêlant aux odeurs du bois, tout juste raboté. La part de sensualité de ces odeurs masculines est indéniable, à l’image des fragrances masculines d’aujourd’hui, très souvent basées sur des odeurs de bois. À la sensualité de ces effluves de testostérone s’ajoute le parfum d’ivresse de la bouteille de vin au coin de l’image, seule boisson des ouvriers de l’époque.
Ce tableau, qui fait presque penser à une photographie, nous marque par son grand réalisme. Les ouvriers sont très concentrés dans l’exécution de leurs tâches difficiles. Ils n’ont d’yeux que pour leur travail, qui les absorbe complètement. Ils ne se regardent pas ni ne nous regardent. Ils n’ont pas de temps pour cela, leur travail rude et répétitif nécessitant beaucoup d’énergie et de force. Ce travail pénible et ingrat, non encore mécanisé, des ouvriers issus du peuple est aux antipodes de la vie oisive des bourgeois fortunés, vivant dans de grands appartements haussmanniens comme celui du tableau. Le réalisme cru de sa représentation a beaucoup choqué les contemporains de Caillebotte, avant que ce tableau ne devienne un des chefs-d’œuvre du Musée d’Orsay à Paris.